Il existe des jours où la vie nous indique naturellement la voie à suivre, et où il suffit de lui dire oui.
Depuis plusieurs mois, je nourrissais le projet de partir en retraite méditative à l'Institut Karmapa. Cependant, les activités, le travail, la famille et les obligations sociales peuvent parfois entraver ou servir d'excuses pour ne pas s'occuper de soi. C'est ainsi qu'est née ma décision ferme et définitive de bousculer mon quotidien en m'offrant un séjour méditatif. Les sentiments d'enfermement et de tourner en boucle, sans trouver de véritable issue, m'ont poussé à rechercher le calme et le repos véritables, loin des écrans qui dictent souvent notre journée.
Par la suite, j'ai découvert que la période pendant laquelle je prévoyais de partir coïncidait avec le Nouvel An tibétain. Comme le dit le proverbe, rien n'arrive par hasard. Cette cérémonie, qui dure plusieurs jours, vise à purifier l'année en cours pour permettre un nouveau départ dans les meilleures conditions. Les bouddhistes ont coutume de commencer la nouvelle année de manière positive en formulant des vœux pour l'avenir, afin de créer une dynamique favorable pour leur vie à venir.
Après plusieurs mois de projets, j'ai pris la décision ferme et définitive de partir faire une retraite méditative à l'Institut Karmapa pour une période de trois jours de grande cérémonie à Mahakala, la divinité protectrice du Dharma, considérée comme la forme courroucée d'Avalakita qui aide les âmes à se libérer des asservissements et à purifier les « voiles » de l'esprit. Cette cérémonie faisait suite à la San Pudja, une purification par le feu, au nouvel an tibétain appelé « Losar ».
Pourquoi ai-je choisi le bouddhisme ? Le bouddhisme a toujours été pour moi un refuge dans les moments difficiles. La vision de la vie des bouddhistes et leur pratique de la maîtrise de l’esprit sont fondamentales dans ma pratique personnelle. Cela m’a beaucoup aidé à dissiper les poisons de l'esprit tels que la jalousie, l'envie, les regrets et l'inquiétude.
Quant aux Karmapa, j'ai essayé différentes traditions comme le ZAZEN, mais c'est avec les Karmapa que j'ai ressenti une plus grande cohésion. Leurs enseignements ne sont pas distillés dans un flot de supercheries New-Age. Bien que je ne me considère pas comme bouddhiste, je les fréquente depuis plus de douze ans en tant que sympathisant qui, sans adhérer à l'aspect religieux, respecte leurs enseignements pleins de sagesse.
Jour 1 (jeudi 31 janvier 2019)
Je suis en train de m'apprêter à partir, cependant un petit problème se pose : je dois prendre le bus pour me rendre à destination. Depuis plusieurs jours, j'essaie de me mettre en relation avec Marina, responsable de l'accueil, pour trouver une personne qui puisse me récupérer à l'arrêt de bus, situé à Caille, village voisin. Par chance, une personne qui monte ce même jour peut me récupérer en chemin.
Pour vous donner une idée de la localisation, l'Institut se situe à Valderoure, près de Gréolières. Pour s'y rendre depuis Nice, il faut environ 1h30 en voiture ou 2 heures en prenant le Bus n°30 à Vauban à Nice.
Lorsque j'arrive, je remarque immédiatement la Stoupa et le Temple, ce qui fait remonter de nombreux souvenirs. Je repense notamment à toutes les fois où j'ai emmené des amis, des proches et ma famille à cet endroit. Je me rappelle en particulier ma sœur qui est venue avec moi pour la première fois il y a un an et demi. Cette expérience a été très enrichissante pour elle et pour moi. Cette fois-ci, je suis seul et je suis venu pour une introspection plus solitaire, qui j'espère sera plus approfondie.
On me présente immédiatement les horaires des différentes pratiques méditatives, ainsi que les coutumes à respecter. Ce qui est appréciable avec cet Institut, c'est que chaque pratique est facultative et il est possible de choisir celles qui nous conviennent le mieux. Bien évidemment, je suis venu ici dans un but de pratique méditative, mais la liberté de choix sans aucune obligation est rassurante car les possibilités sont nombreuses.
Exemple de journée :
6h Tara verte (la libératrice) divinité très populaire au Tibet
10h à 12h30 Mahakala (le protecteur)
15h à 17h30 Mahakala (le protecteur)
20h30 Shenerezi (la compassion)
Pour les Karmapa, les divinités (Dévas) représentent différentes facettes de l'Éveil. En d'autres termes, elles sont une projection de soi-même et chacune est destinée à développer en nous les qualités nécessaires pour atteindre la voie du bonheur. Elles ne sont pas des divinités qui interviennent pour tout et n'importe quoi, mais plutôt des soutiens pour surmonter les obstacles qui entravent notre évolution, la plupart étant de nature psychique et des vues de l'esprit qui nous empoisonnent et nous ralentissent.
Jour 2 (vendredi 1 février 2019)
Je me suis éveillé à 10h, mais j'ai regretté de ne pas avoir pu prendre mon petit déjeuner. Je suis allé dans la salle commune pour voir si je pouvais me faire du thé. Heureusement, j'ai trouvé des restes d'offrandes de la veille que nous pouvons déguster, et qui sont chargées des souhaits du Lama. Techniquement, qu'elles soient chargées ou pas, j'ai faim ! J'ai donc pris un morceau de gâteau et me suis préparé à pratiquer la méditation pendant une heure et demie.
Cette pratique méditative est dirigée par le Lama Trehor, assisté par certains bénévoles de l'Institut et des moines. À notre arrivée, nous entendons les chants tibétains des prières, accompagnés de tambours, de cloches et de timbales, avec des sonorités envoûtantes. Seul sur mon zafù (petit coussin de méditation) face à ce spectacle sonore, je me suis dit que trois jours avec trois heures de cérémonie, plus les pratiques du soir, risquent d'être longs. J'en suis presque venu à me demander pourquoi suis-je venu ici ?
Après avoir apprécié le spectacle, j'ai commencé à me livrer à une introspection rapide, en m'aidant de mon Mahala et d'un mantra destiné à la méditation. Je dois avouer que cela faisait plusieurs jours que je me battais avec moi-même, et garder mon calme mental et lâcher-prise n'a pas été facile. Surtout après les fêtes et tout ce qu'elles ont remué, l'agitation était à son comble.
Jour 3 (samedi 2 février 2019)
Cette nuit, j'ai dormi peu, seulement quatre heures. Cependant, étant donné qu'il faisait jour, j'ai pris le temps de pratiquer la méditation de la Tara verte. Comme je connais cette méditation, on m'a remis le livret de prières en sanskrit avec la phonétique pour me permettre de réciter avec les autres. Cette aide est très utile, car elle contient même des traductions, juste en dessous. J'ai ainsi pu comprendre le sens de leur pratique avec Tara.
Au lever du jour, l'Institut est baigné d'une douce lumière, qui réchauffe mon visage pendant que je médite sur mon petit zafù. J'entre-ouvre les yeux et j'admire la Stoupa immaculée par la neige. Le givre du matin donne au paysage une impression surréaliste, presque surnaturelle, d'une nature figée parsemée de petits cristaux de glace brillants au soleil.
J'ai pour habitude de me lever tôt pour profiter de ces moments privilégiés avec moi-même. J'ai commencé à prendre certaines habitudes, comme boire une infusion de sauge le matin, de fenouil l'après-midi et d'armoise le soir. Ces plantes ont des effets anti-inflammatoires, ce qui est idéal car les positions en tailleur durant plusieurs heures commencent à me causer des douleurs articulaires. Un avantage : les infusions sont en libre-service et sont uniquement constituées de plantes récoltées dans les jardins de l'Institut.
Jour 4 (dimanche 3 février 2019)
Aujourd'hui est le dernier jour de la grande cérémonie à Mahakala et je me motive en me disant : "Aujourd'hui, je vais m'immerger complètement en moi-même et, de toute façon, je n'ai rien d'autre à faire ! Et si je m'ennuie, je peux toujours faire des prosternations (un peu comme ces hommes qui ont l'air un peu excentriques), au moins je ferai de l'exercice physique !"
Je pars donc à la recherche d'informations pour bien effectuer les prosternations. Je comprends rapidement que cela ressemble au yoga. Cela me rappelle beaucoup la posture de salutation au soleil dans le yoga.
Le Lama, avec son sourire et son français approximatif, explique que la pratique des prosternations peut aider à lâcher les tensions de l'esprit, en plus de la méditation Vipassana et des mantras, lorsque des pensées parasites se manifestent.
Je dois avouer que je ne me sentais pas très à l'aise avec l'idée de lâcher mes derniers attachements à ma souffrance. Nous sommes souvent tellement attachés à nos problèmes et à nos petites souffrances que nous nous en rajoutons, créant sans cesse des visions de l'esprit qui nous disent : "Regarde-toi ! Tu es en train de te prosterner dans un temple bouddhiste, c'est incroyable !", ou bien "Je devrais avoir perdu quelques kilos avant de faire cela", ou encore "Je n'ai aucun problème, je suis capable de lâcher prise très facilement...".
Si seulement nous expérimentions plutôt que de simplement comprendre le sens de ce que nous faisons, nous nous comprendrions mieux.
Jour 5 (lundi 4 février 2019)
Aujourd'hui est le jour de la San Pudja, cérémonie rituelle d'offrandes qui utilise du bois de genévrier. Ce bois sacré est brûlé lors des cérémonies où les offrandes sont jetées au feu en l'honneur des divinités. Cette pratique a une origine plus hindouiste que bouddhiste, mais elle est maintenue dans la tradition de la lignée des Karmapa.
Muni de mon assiette, je me suis concentré sur mes souhaits, comme des couches d'oignon à peler, distinguant mes différentes perceptions et émotions, et contrôlant la véritable volonté qui m'anime. Après avoir pris du recul, j'ai rempli les trois assiettes de souhaits auxquelles nous avons droit. Une assiette remplie représente toutes les choses que l'on veut abandonner. Une fois jetée au feu, nous faisons un souhait silencieux, accompagné de chants continus de Shenerenzi. C'était un moment magique alliant intériorité, respect et promesse de jours nouveaux pour cette nouvelle année qui commence.
Jour 6 (mardi 5 février 2019)
Je me suis levé à 6 heures du matin pour pratiquer la méditation de Tara verte, ainsi que des prosternations, entre autres activités. Ces pratiques ont eu un effet considérable sur moi, et j’ai ressenti une sorte de drainage énergétique dans tout mon corps. Avec 111 prosternations effectuées dans la journée (nombre symbolisant l'éveil), il est indéniable que cela a remué mon corps. Je me suis dit que, si cela peut m'aider à atteindre le Nirvana, pourquoi pas ^_^
Plus sérieusement, ces pratiques ont eu des effets très positifs sur mon corps et mon mental. J'ai senti une densité énergétique prendre de la masse et, sur mon zafù, je me suis rééquilibré et ai corrigé certains problèmes auriques. De jour en jour, je suis de plus en plus sensible aux énergies qui m'entourent. D'ailleurs, c'était le nouvel an tibétain et l'Institut était plus calme, ce qui m'a permis de ressentir les différentes facettes d'Avalokiteshvara de manière assez indéfinissable pendant mes pratiques quotidiennes.
Au début, j'ai ressenti une énergie très différente des autres égrégores avec lesquels j'ai l'habitude de travailler, ce qui m'a rendu méfiant. Un médium averti en vaut deux ! J'ai donc pris mon temps pour apprivoiser mes ressentis, puis j'ai commencé à ressentir de la sympathie pour ce qui m'entourait. C'est assez rare pour un égrégore multimillénaire de communiquer de la sorte. Certes, je n'ai pas la prétention de dire que j'ai communiqué avec la divinité dans son intégralité, mais peut-être avec une partie d'elle-même qui a entendu mon appel. Évidemment, étant imprégné des attributs de la divinité, il est impossible de savoir si ce n'est pas une projection de mon propre ego, ce qui est une question philosophique insoluble.
Le dernier jour, j'ai été saisi par une immense joie et transporté par des chants en clairaudience qui m'ont traversé pendant que je n'étais pas en train de pratiquer, comme si mon esprit captait un autre plan. J'ai alors été envahi par une impression de lumière entre le turquoise et le vert. Intuitivement, j'ai vu une île suspendue dans le ciel, constellée de mondes reliés énergétiquement. J'ai compris plus tard que cela représente les différents mondes où résident les divinités, dans le bouddhisme, c'est la représentation des Cieux.
Le même jour, plusieurs personnes m'ont remercié pour les conversations que nous avons eues, et j'ai été heureux de constater que quelqu'un parlait de voyance et de médiumnité avec honnêteté. J'ai également rencontré une femme qui m'a parlé de ma mère décédée et qui connaissait des détails que personne d'autre ne pouvait connaître. C'était un médium très humble qui s'est attaché à moi et qui a su voir des choses que je ne voulais pas voir.
Je suis reconnaissant envers l'Institut, les bénévoles, le Lama Trehor et les divinités qui m'ont permis de lâcher prise sur ma souffrance de deuil et de voir les possibilités de la vie qui se présentent à moi.
Cette expérience a été non seulement enrichissante, mais également salutaire pour mon esprit. Le lieu isolé où elle s'est déroulée était parfait pour effectuer une introspection et les pratiques intenses auxquelles j'ai participé m'ont permis d'abandonner certaines des pressions que la société nous inflige et que nous entretenons par habitude. Cela m'a conduit à atteindre l'état de lâcher-prise et de vacuité que je recherchais. Bien que je ne sois ni meilleur ni moins bon, je suis désormais plus juste envers moi-même.
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